dimanche 7 février 2010

Mauvaises herbes














C'est une assiette du chef Alexandre Gauthier, du restaurant La Grenouillère à La Madeleine-sous-Montreuil dans le Pas-de-Calais. Tout un roman doublé d'un livre de cuisine, cette phrase palimpseste sous laquelle transparaissent Alain-Fournier, Proust et le capitaine Fracasse. Rien moins. Mais retrouvons plutôt notre assiette. Son nom complet ? : Encornets, sang de cochon, mauvaises herbes. C'est clair. C'est net. Ça claque sous la langue. C'est sans appel. La terre et la mer vont se rouler dans l'herbe. Pas d'enjolivure ni maniérisme : on est dans le substrat. Mais par-dessus tout, ce sont ces mauvaises herbes (roquette sauvage, mouron des oiseaux, cresson sauvage, pissenlit...) qui jaillissent ici comme "un loup qui vous saute à la gorge". Je ne retrouve pas la phrase exacte, c'est de Christian Bobin dans je ne sais quel livre où il est aussi question de "beauté qui vous mord". Oui, la poésie de ces "mauvaises herbes" me saute à la gorge avant la bouche. Il y a là du ragazzi di vita, de la provocation, un renversement des codes qui séduiront immanquablement qui est plus sensible encore aux mots des mets qu'aux mets eux-mêmes. Gauthier "dé-jolive" — pour reprendre l'expression de Pierre Dumayet dans son opuscule "Des goûts et des dégoûts" — et c'est ce qui donne tant de beauté au nom de cette préparation. Messieurs les chefs, prenez exemple : moins de pragmatisme dans la dénomination de vos plats et plus de poésie. Plus de "Fruits de friches", d'"écailles de céleri", de "Gröstel de silure", de "légumes oubliés". Plus de "tombées de trévises", de "petites fleurs en tempura", de "millefeuille « caprice d'enfant »" ou d'"émulsion de crêpe suzette". Plus de "canon de moëlle", de "gargouillou de jeunes légumes", de "vinaigrette foisonnée au jus de coques", de "strudel de truite", d'"écume crèmeuse" et de tisane "Que ma joie demeure". Diantre, mettez des vers dans vos assiettes !

Photo Thomas Duval pour l'Express Styles

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