dimanche 17 janvier 2010

Lettre ouverte au guide rouge Michelin












Cher Bibendum,

modeste collectionneur – plutôt simple collecteur – de vos précieux recensements des bonnes tables françaises, je suis profondément surpris et agacé du changement opéré en 1996 sur la couverture de vos ouvrages, tout particulièrement sur ce que les bibliophiles nomment le dos, autrement dit la partie visible d'un livre lorsqu'il est rangé dans une bibliothèque.
En effet, depuis la naissance de votre petite bible rouge et jusqu'en 1992, le marquage se lit de bas en haut ; à compter de 1993, il s'inverse pour une lecture de haut en bas. Pour être tout à fait clair, et pour les éditions antérieures à 1993, il fallait pencher la tête à gauche pour lire la marque Michelin, le pays concerné (France) et l'année. Depuis, on penche la tête à droite. Quelle importance ? me direz-vous. Certes, cela recrée un équilibre – pour les cervicales surtout – une inclinaison trop longue à gauche pouvant entraîner un torticolis. Certes, par ailleurs, dans la dichotomie gauche-droite ou droite-gauche qui est l'apanage  de notre société française, on pourrait y voir une manière d'alternance. Certes, lorsque votre guide est posé à plant sur une table, on peut lire le dos (mais à quoi bon puisqu'on a le plat de recto (autrement dit la couverture) sous les yeux). Et certes, enfin, au pays des libertés... Pour ma part, j'objecterai simplement que ça fait désordre dans certaines bibliothèques richement monopolisées par vos éditions. Et je vous pose donc cette seule question : pourquoi un tel changement ?

Ma question s'étend d'ailleurs à toute l'édition française, pour ne parler que d'elle. Il suffit d'observer les clients d'une librairie qui dodelinent de la tête, un coup à droite, un coup à gauche, devant les rayons, à la recherche d'un auteur et d'un titre. Comment les maisons d'édition n'ont-elles pas su s'entendre sur une règle, organiser des assises nationales pour définir quelle doit être l'orientation du marquage au dos des livres. Faudra-t-il légiférer un jour sur cet épineux problème ? Epineux car plus complexe encore que cela : on compte en effet trois écoles (ou chapelles) : les deux que nous venons d'évoquer et que je qualifierai de "modernes" car elles donnent plus de lisibilité aux mentions portées sur le dos en ce sens qu'elles utilisent toute la surface disponible proportionnelle à l'épaisseur de l'ouvrage ; et les traditionalistes (puristes ?) : marquage horizontal, lecture tête droite, donc. Ici, pour exemple, les ténors de l'édition romanesque française : Gallimard, Le Seuil, Grasset, Minuit. A quelques exceptions près, lorsqu'une pagination trop faible, un nom d'auteur et/ou un titre trop long(s) ne l'autorisent pas : je citerai l'exemple de mon ami Christian de Montella avec ses Corps impatients à la NRF qui bénéficie d'un marquage de bas en haut. Et force est de constater que c'est ce sens de lecture qui prédomine largement, voire même à 100% dans les éditions de poche, Folio ou Le livre de poche. J'allais ajouter que c'est le sens qui me semble le plus logique dans nos civilisations occidentales portées par une lecture de gauche à droite et dans lesquelles la lecture "montante" peut symboliser l'élévation et donc des valeurs de progrès. Donc positives en regard d'une lecture "descendante" qui plonge vers les enfers. Mais me voilà parti jeter un œil dans l'édition étrangère de langue anglaise et mes théories tombent à plat : leurs dos ont une lecture descendante ! Alors la lecture montante est peut-être une composante des pays latins ? Las ! D'un côté les Italiens descendent , de l'autre les Portugais montent. Les Allemands ? Ils montent toujours. Et la Suisse reste neutre. Voyez, Cher Bibendum, dans quelles divagations votre volte-face de 1993 nous plonge.
Dans l'espoir que vos guides retrouvent rapidement bon dos avec l'ascendant positif et les valeurs de progrès afférentes – dont ils n'auraient dû se départir – acceptez les meilleures salutations d'un lecteur fidèle.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire