lundi 1 mars 2010

Lettre ouverte à M. Michel Rollier

Gérant associé commandité de l'Entreprise Michelin.

Cher Monsieur, j'ai découvert naguère, ce week-end, que l'école maternelle d'Ormesson, sise dans la ruelle éponyme qui fait face à l'entrée "rue du Nord" de la manufacture dont elle dépend, avait été détruite. Sur le coup, m'eût-on percé un ventricule — droit ou gauche —, aurais-je ressenti plus vive douleur ? J'y ai appris à lire et fait mes premiers coloriages (des tampons de fruits de l'automne, pommes et poires, dès la rentrée de septembre). J'y ai connu ma première fille, au joli prénom suranné de Geneviève (c'était hier, et pourtant déjà si désuet que c'en serait presque fashion week). Il y a en effet dans ces quatre syllabes des parfums de moyen-âge qui me font illico susurrer les noms de François Villon, Chrestien de Troyes ou Guillaume d'Aquitaine. La belle avait par ailleurs un nom digne des comtes d'Auvergne, qui stigmatisait d'emblée toute évocation de la douce France. L'école a survécu quelques années à la piscine Michelin (on peut admirer avec grand plaisir le Bibendum cracheur d'eau qui trônait face aux deux bassins dans le musée L'Aventure Michelin de Montferrand) qui la surplombait et dans l'ombre de laquelle elle se blottissait. Chaque fois, venant vérifier si l'école était toujours là, j'imaginais toujours, sans y croire,
et sans jamais pouvoir franchir sa porte de fer, qu'elle s'arrogerait le même statut que ces lieux que l'on protège en les inscrivant au patrimoine de l'humanité, y ayant fait les miennes (humanités) à leurs prémices. Immarcessible, mon école ? C'est aujourd'hui un parking. Poésie moderne de nos ville. " Si nous voulons que tout reste tel que c'est, il faut que tout change " dit Tancredi dans Le Guépard. Ah, cruelle vérité. Mais il est vrai que libéré de toute enceinte, de murs, de cloisons, cet espace m'appartient enfin. Totalement. En pensée, dans ce lieu ouvert, rendu au temps, je joue les passe-muraille : je vais de la classe à la cantine, de la cantine à la dormerie (pardon pour ce barbarisme qui me plaît, n'ayant aucun souvenir du nom que l'on donnait à ce lieu qui est aujourd'hui devenu la "couchette"), de la dormerie à la salle où nous attendions nos parents le soir, et de là au bureau de la directrice. Puis je rejoins la cour et son bac à sable. "Les vrais paradis sont les paradis qu'on a perdus". Proust, encore et toujours, dans Le temps retrouvé, comme seule consolation. Ne demeurent que les lieux.
Bien respectueusement vôtre.

PS : je vous remercie par avance de bien vouloir me convier aux funérailles de mon école primaire (Charras) lorsque sa fin sera venue.

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